Selon la définition de la jurisprudence de la Rote Romaine, «la stérilité consiste en une union physique de fait inféconde, mais potentiellement idoine à la procréation» . La « stérilité » désigne les effets qui rendent la génération impossible, sans affecter toutefois l’acte conjugal . Elle est donc l’incapacité de la reproduction et ipso facto de la transmission de la vie dans une communauté de vie conjugale. La stérilité est en d’autres termes, une incapacité de procréer, une incapacité de coopérer à l’œuvre créatrice de Dieu dans la vie conjugale. Si le mariage est orienté à la procréation et à l’éducation des enfants, que se passe-t-il quand les conjoints sont incapables de procréer? Autrement dit, que se passe-t-il quand un couple se découvre stérile?
2.1. La réalité de la stérilité dans la culture africaine
Dans la culture africaine en général et celle rwandaise en particulier, le mariage a son but suprême de reproduction. On a l’impression que le mariage se conclue «spécialement dans l’intention de la procréation pour assurer la pérennité de la famille et du clan» . Quand les conjoints sont incapables de procréer, ce problème est de fait considéré comme un échec de la réalisation dudit but du mariage.
Par ailleurs, la stérilité est conçue comme contraire à l’éthique africaine. En fait, l’époux stérile peut se sentir coupable et même humilié. La femme est souvent la seule ou bien la première victime de ce problème parce que les hommes sont généralement considérés a priori féconds. Dans certaines familles africaines, on cherche les solutions dans la sorcière et chez les médecins traditionnels et on soupçonne même l’empoisonnement. De pire encore, on renvoie la femme ou bien le mari quitte son épouse. Au lieu de la renvoyer, dans certaines sociétés traditionnelles, une femme stérile est «renforcée par sa sœur ou par une autre femme de sa famille (élargie) susceptible d’être féconde».
De plus, la stérilité est à l’origine de nombreux problèmes dans les familles africaines notamment la haine, les discordes, les disputes, la séparation des conjoints, le divorce et la polygamie. Mais alors, la stérilité aurait-il un impact juridico-pastoral?
2.2. L’impact juridico-pastoral de la stérilité sur le mariage
La stérilité comporte toujours la capacité copulative . Elle n’a aucun impact sur la consommation du mariage. Vu que la procréation n’est pas une condition sine qua non qui justifie l’essence du mariage, la stérilité n’est pas donc un empêchement au mariage canonique. À ce sujet, le canon 1084 du CIC 83, en reprenant le contenu du canon 1064 6 du Code de 1917, précise que «la stérilité n’empêche ni ne dirime le mariage, restant sauves les dispositions du can. 1098». Ainsi donc la stérilité «n’empêche pas le mariage ex iure naturae (selon le droit naturel)» . Elle invalide le mariage, uniquement dans le cas du dol au sens du can. 1098 , et pareillement, dans le cas où la partie contractante aurait fait la fécondité une condition absolue de son consentement aux termes du canon 1102 . Le dol établi par le can. 1098 existe quand l’une des parties contractantes cache sciemment et intentionnellement sa stérilité afin de tromper son partenaire et d’obtenir ainsi le mariage.
La stérilité en elle-même n’est pas un empêchement dirimant du mariage; mais dans le cas où l’un des conjoints sait qu’il est stérile et qu’il ne pourra de ce fait engendrer et le cache au futur conjoint, celui-ci peut désormais faire valoir qu’il a été induit en erreur dolosivement sur une qualité de l’autre partie qui de sa nature peut perturber gravement la communauté de vie conjugale, et la perturbe en fait dans la mesure où le conjoint souhaitait fermement, en se mariant, pouvoir fonder une famille.
Ainsi donc, le dol ne peut être allégué contre le conjoint qui ignorait à l’époque du mariage sa stérilité et ne l’a découverte qu’après le mariage 12 . Quand l’autre conjoint devient certainement déçu par cette situation, il ne peut pas recourir au canon 1084. Il pourrait invoquer le canon 1097§2 13 et faire valoir l’erreur sur une qualité de la personne à condition que l’aptitude à procréer de l’autre conjoint ait été recherché directement et principalement .
En dehors de ces cas que nous venons d’expliquer, le mariage d’une personne, homme ou femme, affectée par la stérilité est pleinement valide. Mais c’est une situation très difficile à vivre et très lourde à supporter d’où l’urgence de l’accompagnement pastoral des couples chrétiens stériles.
L’Église fait siennes, en un partage affectueux, les joies et les espoirs, les douleurs et les angoisses de chaque famille. Être proche de la famille comme compagnon de route signifie, pour l’Église, assumer une attitude savamment différenciée : parfois il est nécessaire de demeurer à côté d’elle et d’écouter en silence ; dans d’autres cas, il faut précéder pour indiquer le chemin à parcourir ; dans d’autres encore, il est opportun de suivre, de soutenir et d’encourager.
Dans cette perspective, l’Église a le devoir d’accompagner les conjoints et les couples stériles pour qu’ils puissent « parvenir à regarder la réalité en face, à mieux l’assumer » , tout en sachant que le mariage n’a pas été seulement institué en vue de la procréation.
2.3. La formation de la communauté de toute la vie
Outre la finalité procréatrice, le mariage est aussi orienté au bonum conjugum que la jurisprudence a traduit comme une « intime communion» des conjoints, en reconnaissant tout ce que cette communion de vie englobe et implique. Par le mariage chrétien, les conjoints forment une union indissoluble et s’établisse ipso facto une communauté d’amour pour toute la vie où chacun possède les droits et les devoirs qui lui sont propres. Cette communauté de vie conjugale s’établit depuis l’échange des consentements. Elle n’est pas une simple cohabitation, mais plutôt, elle est une intime communion des époux, qui forment une seule chair, qui se doivent une fidélité mutuelle, pour toute leur vie 17 . En d’autres termes, c’est une société sans pareil où se réalisent la relation interpersonnelle des époux et l’épanouissement de leur personne en tant qu’époux. Cette communauté de vie conjugale que forment les conjoints est naturellement ouverte au bien des conjoints ainsi qu’à la procréation et à l’éducation des enfants. Il ne faut cependant pas oublier que même dans les cas où la procréation est impossible, la vie conjugale garde toute sa valeur.
Le mariage cependant n’est pas institué en vue de la seule procréation. Mais c’est le caractère même de l’alliance indissoluble qu’il établit entre les personnes, comme le bien des enfants, qui requiert que l’amour mutuel des époux s’exprime lui aussi dans sa rectitude, progresse et s’épanouisse. C’est pourquoi, même si, contrairement au vœu souvent très vif des époux, il n’y a pas d’enfant, le mariage, comme communauté et communion de toute la vie, demeure, et il garde sa valeur et son indissolubilité .
La communauté profonde de vie et d’amour conjugal est une finalité institutionnelle du mariage, à l’égal de la procréation et sur le même pied qu’elle 20 . Quoi qu’il arrive, les conjoints demeurent liés l’un à l’autre devant Dieu qui consacre leur amour conjugal 21 . Leur alliance est désormais perpétuelle, indissoluble et irréversible. L’incapacité de procréer ne peut pas la briser. Ce qui est indispensable pour que la communauté de vie conjugale garde toute sa valeur et demeure, c’est l’ouverture à la procréation et au bien des époux dans le consentement 22 . L’arrivée effective de la procréation n’est pas nécessaire. Bien plus, le bien des conjoints que constitue la communauté de vie conjugale n’est pas moins supérieur que la procréation et l’éducation des enfants.
2.4. Le perfectionnement mutuel des époux
En plus de la communauté profonde d’amour pour toute la vie que forment les conjoints incapables de procréer, ils sont aussi appelés à se sanctifier dans leur union conjugale. Cet idéal nécessite un processus de perfectionnement mutuel et continuel par l’exercice des vertus naturelles et surnaturelles. Au cours de cette mutuelle formation, les époux doivent s’appliquer assidûment à travailler toujours davantage à leur perfection réciproque . Pour le Pape Pie XII, ce perfectionnement mutuel des époux est la cause et la raison première du mariage si «l’on ne considère pas strictement dans le mariage l’institution destinée à la procréation et à l’éducation des enfants, mais, dans un sens plus large, une mise en commun de toute la vie, une intimité habituelle, une société» .
Le perfectionnement mutuel des conjoints n’est pas seulement une œuvre extérieure. Il concerne «tout l’enrichissement personnel, même l’enrichissement intellectuel et spirituel, jusqu’à tout ce qu’il y a de plus spirituel et de plus profond dans l’amour conjugal» 25 . En agissant ainsi, «les époux, assistés et fortifiés par la grâce céleste, fruit de ses mérites, puisent la sainteté dans le mariage même» 26 puis que ce «sacrement est un don pour la sanctification et le salut des époux» .
L’amour conjugal […] est un chemin de sanctification des époux. Cet appel à la sainteté matrimoniale et à son témoignage concerne toute la vie. La vie familiale quotidienne, les rapports conjugaux, l’effort déployé pour soutenir économiquement le foyer, accroître sa sécurité et améliorer ses conditions d’existence comme aussi les rapports avec la société civile, constituent les situations les plus communes dans lesquelles les époux sont appelés à se sanctifier et à être un «signe sacramentel» de la charité de Dieu.
En effet, la sanctification est la fin du mariage en tant qu’il est un sacrement 29 . Les conjoints incapables de procréer ne sont pas privés de la grâce du sacrement de mariage pour atteindre cet idéal chrétien. Les Pères du deuxième concile œcuménique de Vatican affirment qu’«en leur état de vie et dans leur ordre, ils (les époux chrétiens) ont dans le peuple de Dieu leurs dons propres» 30 . Le Catéchisme de l’Église Catholique ajoute: «Cette grâce propre du sacrement du Mariage est destinée à perfectionner l’amour des conjoints, à fortifier leur unité indissoluble. Par cette grâce, ils s’aident mutuellement à se sanctifier dans la vie conjugale» . Ainsi donc, les époux stériles parviennent de plus en plus à leur perfection personnelle et à leur sanctification mutuelle.
En peu de mots, leur mariage de couple stérile reste canoniquement valide à condition qu’il y ait eu l’ouverture à la procréation et au bien des époux dans le consentement matrimonial.
2.5. L’adoption des enfants
L’adoption des enfants est une «voie pour réaliser la maternité et la paternité d’une manière très généreuse» dans la vie conjugale des époux incapables de procréer. En effet, la procréation n’est pas la seule manière de vivre la fécondité de l’amour conjugal . L’amour paternel et maternel véritable sait aller au-delà des liens de la chair et du sang et accueillir aussi des enfants d’autres familles, leur apportant tout ce qui leur est nécessaire pour vivre et s’épanouir pleinement . Ainsi donc,
Le choix de l’adoption et du placement exprime une fécondité particulière de l’expérience conjugale, au-delà des cas où elle est douloureusement marquée par la stérilité. […]. Face aux situations où l’enfant est voulu à tout prix, comme un droit à une réalisation personnelle, l’adoption et le placement correctement compris manifestent un aspect important du caractère parental et du caractère filial, dans la mesure où ils aident à reconnaître que les enfants, naturels ou adoptifs ou confiés, sont des êtres autres que soi et qu’il faut les accueillir, les aimer, en prendre soin et pas seulement les mettre au monde. L’intérêt supérieur de l’enfant devrait toujours inspirer les décisions sur l’adoption et le placement.
2.6. S’adonner aux œuvres caritatives
Dans l’Exhortation post-synodale Amoris Laetitia, le Pape François affirme que «la procréation ou l’adoption ne sont pas les seules manières de vivre la fécondité de l’amour» 36 . Cette affirmation reprend et actualise ce que Jean-Paul avait écrit en ces termes:
En réalité tout acte d’amour authentique envers l’homme témoigne de la fécondité spirituelle de la famille et la perfectionne, car il est obéissance au profond dynamisme intérieur de l’amour en tant que don de soi-même aux autres. Les conjoints qui font l’expérience de la stérilité physique sauront d’une façon spéciale faire leur cette perspective qui est si riche et si exigeante pour tous.
Dans ce cadre, l’incapacité de procréer est en effet pour les couples stériles une occasion de s’adonner davantage aux œuvres caritatives variées avec une «créativité incessante doit caractériser la fécondité des familles» 37 . Leur fécondité s’élargit et se traduit par mille manières de rendre présent l’amour de Dieu dans la société 38 . À ce propos, les conjoints incapables de procréer accordent une place non seulement aux enfants misérables, mais aussi aux pauvres, aux personnes marginalisées, aux malades, aux personnes âgées, aux réfugiés, et aux personnes handicapées. Ils peuvent aussi aider les toxicomanes, les personnes abandonnées, les anciens détenus ainsi que les autres personnes qui connaissent une situation pire que la leur.
Les conjoints incapables de procréer s’adonnent bien plus aux œuvres variées d’éducation et de médecine à d’autres familles. Quand ils accomplissent ces œuvres de charité, « les horizons de la paternité et de la maternité des familles chrétiennes s’élargissent considérablement : la fécondité spirituelle de leur amour est comme défiée par de telles urgences, et bien d’autres encore, de notre temps » 39 .
CONCLUSION
Nous arrivons au terme de notre dissertation. Notre objectif était de répondre à cette question: Que se passe-t-il quand les conjoints sont incapables de procréer? Le mariage est naturellement orienté vers la procréation et l’éducation des enfants. Cependant, les époux ne doivent pas confondre les fins institutionnelles du mariage et les motifs qui les poussent à s’unir pour toute la vie. De toutes les façons, leurs intentions subjectives doivent être compatibles avec les fins objectives du mariage. Nous les avons expliqués, le mariage n’est pas seulement institué en vue de la procréation mais aussi et surtout en vue du bien des conjoints.
Ce qui constitue le bien des conjoints n’est pas facile à dire en un mot parce que c’est un complexe de plusieurs biens qui constituent essentiellement la vie conjugale et qu’il ne se forme pas distinctement de tel ou tel bien 40 . Au cours de ce travail, nous avons focalisé l’attention sur l’aide mutuelle, le remède à la concupiscence, la communion de toute la vie, le don pour la sanctification, la fécondité spirituelle qui se concrétise à travers les œuvres caritatives telles que l’adoption d’enfant.
Quand il arrive que le couple validement constitué se découvre incapable de procréer, le mariage reste canoniquement valide. Ce qui est indispensable pour que le mariage garde toute sa valeur et demeure valide, c’est l’ouverture à la procréation et au bien des conjoints dans le consentement.
Les conjoints incapables de procréer peuvent réaliser la fin prochaine et propre (finem suum) du mariage, c’est-à-dire l’union indissoluble des esprits et des cœurs qui est l’essence même du mariage. En effet, ils forment une communauté profonde d’amour pour toute la vie. L’unité et l’indissolubilité sont les propriétés de cette communauté de vie conjugale où chaque conjoint a ses propres droits et ses devoirs.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas ignorer la souffrance des couples stériles. Il est donc nécessaire que les pasteurs d’âme puissent mettre sur pied une pastorale post-matrimoniale qui serait capable d’accompagner ces conjoints incapables de procréer afin de les aider à accueillir la situation dans la foi, l’espérance et la charité.
La stérilité n’empêche pas le perfectionnement mutuel des époux jusqu’à l’apogée de leur union conjugale. Au manque d’enfant issu de leurs entrailles, les couples stériles peuvent opter des moyens de fécondité spirituelle tels que l’adoption d’enfant et s’adonner aux œuvres caritatives.
Abbé Gratien KWIHANGANA