Les fins naturelles du mariage

Le canon 1055 du Code de droit canonique de 1983 indique les deux fins naturelles du mariage à savoir le bien des conjoints ainsi que la procréation et l’éducation des enfants, sans se prononcer sur la préséance entre elles. C’est une nouveauté du Code de droit canonique en vigueur puisque le Code de 1917 souligne que la fin première du mariage était la procréation et l’éducation des enfants. Les fins secondaires étaient l’aide mutuelle et le remède à la concupiscence qui découle de l’acte conjugal. Dans les paragraphes suivants, nous allons expliquer toutes ces fins du mariage, sans les hiérarchiser, conformément à l’enseignement actuel de l’Église Catholique.

1.1. Le bien des conjoints

Le bien des conjoints, bonum coniugum, est une expression officiellement parue pour la première fois dans le magistère de l’Église en 1983. Nous la trouvons dans le Code de droit canonique en vigueur, plus précisément dans la première partie du canon 1055. En tant que finalité du mariage, le bien des époux ne doit pas être entendu seulement dans un sens subjectif du bonheur et de l’épanouissement que les époux tirent de leur union, mais il doit l’être dans un sens objectif comme bien propre du mariage . C’est pourquoi, pour traduire adéquatement l’expression latine bonum conjugum, la jurisprudence recourt à l’expression d’« intime communion» des personnes, ou «communion de vie».

La communion de vie intime constitue la raison pour laquelle Dieu a institué le mariage parce qu’«En donnant à Adam une aide semblable à lui par la création d’Ève, Dieu crée le premier couple dans son unité intime en tant que couple et pour son bien. C’est ensuite seulement qu’il leur confie un autre bien: celui de croître et de se multiplier». Cette affirmation s’enracine dans ce texte biblique:«Il n’est pas que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide semblable qui lui soit assortie. […] C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair» (Gn 2, 18. 24). En effet, par le sacrement de mariage, l’homme devient totalement conjoint à la femme et vice-versa.

Selon le plan de Dieu, «l’amour qui forme le couple humain, faisant de l’homme et de la femme une seule chair est par nature», une pierre angulaire qui constitue une communion intime des conjoints. Ils forment ipso facto une communauté conjugale d’amour pour toute la vie. En conséquence, le bien des conjoints (bonum coniugum) inclut en même temps «l’unité, l’ouverture à la vie, la fidélité et l’indissolubilité, ainsi que dans le mariage chrétien également l’aide mutuelle sur le chemin vers une amitié plus pleine avec le Seigneur». Cette idée est très développée dans le rapport final du synode des évêques tenu à Rome en 2015 au sujet de la vocation et de la mission de la famille dans l’Église et dans le monde contemporain. Les pères synodaux affirment:

Dans l’accueil réciproque, les mariés se promettent un don total, la fidélité et l’ouverture à la vie. Dans la foi et avec la grâce du Christ, ils reconnaissent les dons que Dieu leur offre et s’engagent en son nom devant l’Église. Dieu consacre l’amour des époux et en confirme l’indissolubilité, leur offrant pour vivre la fidélité, l’intégration réciproque et l’ouverture à la vie. Nous rendons grâce à Dieu pour le mariage car, à travers la communauté de vie et d’amour, les conjoints chrétiens connaissent le bonheur et font l’expérience que Dieu les aime personnellement, avec passion et tendresse. L’homme et la femme, individuellement et comme le couple, - a rappelé le Pape Francois - «sont image de Dieu». Leur différence «ne vise pas l’opposition, ou la subordination, mais la communion, l’engendrement, toujours à l’image et ressemblance de Dieu» (Audience générale, 15 avril 2015). L’objectif d’union du mariage est un rappel constant à faire grandir et à approfondir cet amour. Dans leur union d’amour, les époux expérimentent la beauté de la paternité et de la maternité; ils partagent les projets et les difficultés, les désirs et les préoccupations; ils apprennent à prendre soin l’un de l’autre et à se pardonner réciproquement. Dans leur amour, ils célèbrent leurs moments heureux et se soutiennent dans les passages difficiles de leur vie.

À la lumière de ce texte, le bonum conjugum, traduit en français comme «intime communion», implique de par sa nature l’aide mutuelle entre les époux.

1.1.1. L’aide mutuelle entre les conjoints

Le soutien mutuel entre les conjoints vise trois aspects essentiels dans leur vie conjugale. En premier lieu, l’aide mutuelle «comprend des devoirs et services mutuels très variés entre les époux, par exemple la cohabitation, la communauté de la table, la jouissance des biens matériels, l’acquisition et la gestion des moyens de subsistance, surtout l’aide personnelle dans les circonstances variés de la vie, dans les besoins du corps et de l’âme ». On ne peut pas passer sous silence que c’est à travers l’aide mutuelle que les époux peuvent convenablement accomplir l’union des sexes qui expriment a fortiori l’union de leur être et par laquelle ils coopèrent à l’œuvre créatrice de Dieu.

En deuxième lieu, l’aide mutuelle entre les conjoints concerne le perfectionnement de leur nature humaine. L’intime communion entre les conjoints les aide progressivement à se développer socialement, intellectuellement, spirituellement, affectivement, moralement, psychologiquement et dans les autres dimensions de la vie humaine. Ainsi deviennent-ils davantage mûrs et pleinement humains. Chacun est un don précieux que Dieu a donné à l’autre pour mûrir davantage et grandir en humanité. C’est ce qu’affirme Pierre Adnès:

Par l’union intime de leur vie, les époux peuvent se parfaire mutuellement d’une manière très efficace; ce n’est pas qu’ils ne possèdent, l’un et l’autre, la nature humaine complète, mais certains dons de cette nature sont plus développés chez l’homme, d’autres plus particulièrement possédées par la femme: la mise en commun de ces dons divers profite à l’un et à l’autre, et achève chacun dans la ligne même de son humanité.

Par le mariage, «l’homme devient pleinement homme et la femme pleinement femme». Ainsi donc la virilité et la féminité ne peuvent pas être atteintes que dans les rapports réciproques des conjoints à l’intérieur de la communauté familiale. Par ailleurs, l’aide que se donnent les époux dans leur vie conjugale les épanouit jusqu’au point «de devenir l’un par l’autre père et mère». D’une part, c’est par la femme que l’homme devient père; d’autre part, c’est par l’homme (son mari) que la femme devient mère. Cela est le dernier épanouissement humain que les conjoints se donnent l’un à l’autre.

En troisième lieu, l’aide mutuelle dans la vie conjugale a une dimension christocentrique puis qu’elle favorise les conjoints à avancer «sur le chemin vers une amitié plus pleine avec le Seigneur»en vue de leur sanctification. En effet, bien que l’aide mutuelle entre les conjoints ne comprenne pas seulement l’appui mutuel et le perfectionnement de la nature humaine, elle doit viser plus haut. Selon Pie XII, l’aide mutuelle

doit viser à ce que les époux s’aident réciproquement à former et à perfectionner chaque jour davantage en eux l’homme intérieur : leurs rapports quotidiens les aideront ainsi à progresser jour après jour dans la pratique des vertus, à grandir surtout dans la vraie charité envers Dieu et envers le prochain.

Les conjoints doivent cheminer et s’entraider ainsi en vue de leur propre sanctification jusqu’à ce qu’ils deviennent Saints comme notre Père Céleste est Saint (Mt 5, 48). La Sainteté est l’objectif principal de l’aide mutuelle dans la vie conjugale.

1.1.2. Le remède à la concupiscence

Outre le soutien mutuel que nous venons d’expliquer, le bien des conjoints constitue un autre élément essentiel. C’est le remède à la concupiscence. Dans le Code de 1917, le remède à la concupiscence était classé au deuxième rang des fins du mariage. Cela constitue la doctrine de la hiérarchisation des fins du mariage propre au pontificat de Pie XI 20 et celui de Pie XII. Mais le Code en vigueur ne le mentionne plus. Les canonistes et les théologiens estiment aujourd’hui que le remède à la concupiscence fait partie du bien des conjoints.

Le fondement de cette finalité du mariage apparaît dans la première épître de Saint Paul aux Corinthiens où il conseille aux célibataires, aux veuves et aux veufs qui ne peuvent pas s’astreindre à la continence, de se marier afin d’éviter les dérèglements de la concupiscence et «de brûler de ses feux» (Cfr 1 Co 7, 1-8).

L’intime communion de vie entre les conjoints permet «un apaisement, dans les rapports conjugaux et dans l’affection réciproque, des besoins de la chair et de ceux du cœur, qui assure l’équilibre de vie et prémunit contre les excès des appétits déréglés, ‘sedatio concupiscentiae’».

1.2. La procréation et l’éducation des enfants

Après avoir formé le premier couple humain en vue de mener d’abord une intime communion de vie, Dieu a ensuite donné aux conjoints ce précepte: «Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre» (Gn 1, 28). Ainsi Dieu a-t-il voulu leur donner une participation spéciale dans son œuvre créatrice. Le «Créateur a voulu que l’homme et la femme participent à l’œuvre de sa création et il en a fait en même temps des instruments de son amour, leur confiant la responsabilité de l’avenir de l’humanité à travers la transmission de vie». Cependant, il ne faut pas concevoir cette procréation des individus humains comme la conservation de l’espèce dans le temps et l’espace. Sinon, il n’y aurait pas une différence entre la transmission de la vie humaine et celle de la vie animale pour le cas des bêtes sauvages et des animaux domestiques.

La multiplication des individus, dans l’espèce humaine, est essentiellement orientée, non seulement à la conservation de l’espèce, mais aussi à la formation des personnes. Il ne s’agit pas de transmettre simplement une constitution physique, mais de former un homme capable de prendre ses engagements de personne, qui formeront la communauté humaine.

Dans cette optique, la procréation va toujours de pair avec l’éducation des enfants dans la communauté de vie conjugale. À ce propos, Jean-Paul II affirme:

Le devoir d’éducation a ses racines dans la vocation primordiale des époux à participer à l’œuvre créatrice de Dieu : en engendrant dans l’amour et par amour une nouvelle personne possédant en soi la vocation à la croissance et au développement, les parents assument par là même le devoir de l’aider efficacement à vivre une vie pleinement humaine.

Cette doctrine nous aide à mieux comprendre que l’institution du mariage et l’amour conjugal sont naturellement ordonnés à la procréation et à l’éducation des enfants. Cependant, il ne faut pas comprendre par-là que cette fin est supérieure au bien des conjoints. Les Pères du deuxième concile œcuménique de Vatican soulignent que

un amour conjugal vrai et bien compris, comme toute la structure de la vie familiale qui en découle, tendent, sans sous-estimer pour autant les autres fins du mariage, à rendre les époux disponibles pour coopérer courageusement à l’amour du Créateur et du Sauveur qui, par eux, veut sans cesse agrandir et enrichir sa propre famille.

Disons donc que, sur le plan des fins du mariage, la procréation et l’éducation des enfants sont au même rang que le bien des conjoints. Comme nous l’avons évoqué dans le paragraphe précédent, la procréation n’est pas une simple fonction biologique qui pourrait se réaliser même par fécondation artificielle. Elle exige le don de soi des époux exprimé par l’acte conjugal normalement accompli de façon humaine dans une coopération personnelle et libre. Ainsi les époux, tandis qu’ils se donnent l’un à l’autre, donnent au-delà d’eux-mêmes un être réel, l’enfant, reflet vivant de leur amour, signe permanent de l’unité conjugale et synthèse vivante et indissociable de leur être de père et de mère. Dans le mariage chrétien, cette coopération doit s’étendre à la communication de la vie surnaturelle que les parents ne transmettent pas directement à leurs enfants. Ils doivent leur assurer le bienfait de cette vie surnaturelle en les présentant au baptême et en leur transmettant l’héritage de leur foi. Cette transmission de la foi fait partie de l’éducation chrétienne que les parents doivent donner à leurs enfants.

Nous avons expliqué jusqu’ici les deux fins naturelles du mariage selon le Code de droit canonique en vigueur. Ce sont le bien des conjoints ainsi que la procréation et l’éducation des enfants. Contrairement au Code de 1917, au magistère de Pie XI et celui de Pie XII, le magistère de l’Église, depuis le deuxième concile Œcuménique de Vatican, n’établit plus la hiérarchie entre ces fins. Elles sont toutes au même rang. On ne peut pas surestimer l’un et sous-estimer l’autre. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas une fin propre du mariage. Saint Thomas d’Aquin a le mérite d’avoir expliqué avec clarté cette fin propre. C’est ce que nous voudrions élucider dans les paragraphes suivants.

1.3. Fin propre du mariage selon Saint Thomas d’Aquin

Pour le Docteur Angélique,«La génération et l’éducation des enfants, qui n’est pas une partie une partie intégrante de l’essence du mariage, est sa fin éloignée». Ce n’est que l’ouverture à la procréation (in suis principiis) qui se trouve dans l’essence du mariage et non l’arrivée effective de celle-là (in se ipso). La «masculinité et la féminité des personnes mariées sont constitutivement ouvertes au don des enfants. Sans cette ouverture, un bien des conjoints digne de ce nom ne pourrait pas même exister». Contracter le mariage, c’est se destiner dès lors à poursuivre la procréation et l’éducation des enfants 36 . Cependant, quand les conjoints sont incapables de procréer, ils accomplissent bel et bien la fin prochaine et propre (finem suum) du mariage, c’est-à-dire l’union indissoluble des esprits et des cœurs qui est l’essence même du mariage.

L’objet ou fin prochaine est l’union indissoluble des esprits et des cœurs ainsi que l’amour d’amitié conjugale, sanctifiées par le sacrement, qui impliquent que l’homme et la femme vivent en mari et en épouse. L’acte du mariage établit une communion entre les époux, qui est à la fois l’objet et la fin de l’acte du mariage. Cette communion en constitue donc l’essence. L’amitié du couple constitue un bien commun dont l’instance dépasse celle des deux individus. Les autres fins du mariage découlent de cette essence, mais sans spécifier, par l’acte du mariage, son essence. C’est pour cette raison que l’on peut séparer du mariage la génération des enfants, sans nuire à son intégrité.

L’union indissoluble des conjoints est le propre de tout mariage chrétien. Elle est sa fin prochaine et propre. Cette fin est intrinsèque au mariage et en constitue ipso facto la partie intégrante parce qu’elle «jaillit de ce qui est le constitutif propre (la species) de l’homme en tant qu’homme, l’intellect et la volonté qui expriment le consentement matrimonial». L’union indissoluble des époux comme fin propre du mariage concerne tout mariage chrétien dont les fins éloignées sont le bien des conjoints ainsi que la procréation et l’éducation des enfants.

Par ces deux fins éloignées, d’une certaine manière (aliqualiter) et sans que ces deux fins soient nécessaires (), les époux réalisent aussi la fin propre et prochaine (finem suum) du mariage, à savoir l’union indissoluble des esprits et des cœurs ainsi que la suprême amitié conjugale, qui constituent le mariage comme « réalité » (res) jusqu’à la mort d’un des conjoints.

À partir de cette doctrine thomiste des fins du mariage, nous concluons que l’union indissoluble des conjoints «en tant qu’elle est la fin propre et prochaine du mariage, en constitue l’objet, qui spécifie formellement l’acte du mariage». La procréation n’est pas donc la condition sine qua non qui justifie l’essence du mariage. Sans l’enfant, l’essence et la fin propre du mariage, reste valable.

Abbé Gratien KWIHANGANA



Liens Importants
Saint-Siège
Infos du Vatican
Le monde vu de Rome
Eglise Catholique au Rwanda
Diocèse de Cyangugu
Diocèse de Gikongoro
Diocèse de Nyundo
Diocèse de Byumba
Diocèse de Kibungo
Site Sanctuaire marial de KIBEHO